Le syndrome de la page blanche

Après un printemps bien occupé, je me pose enfin pour faire quelque chose que je voulais faire depuis longtemps : écrire pour le blog. Je suis fan des blogs, j’aime beaucoup lire ce que tel ou tel artiste peut partager comme réflexion, et je suis reconnaissant pour le temps qu’ils prennent pour le faire. Alors j’aimerais aussi contribuer.

Aujourd’hui j’aimerais partager une expérience qui, je l’espère, encouragera tous ceux qui aimeraient créer de belles choses mais qui pensent qu’ils n’en sont pas capables. L’un des sujets qui m’a longtemps préoccupé a été le syndrome de la page blanche. C’est ce qui arrive quand on veut écrire, créer, et qu’on se trouve face au vide. Le néant. La page reste désespérément blanche et l’on n’arrive à rien écrire.

C’est ce qui m’est arrivé il y a quelques années, après la sortie de mon deuxième album, « Nos liens ». Les chansons que j’avais écrites étaient très autobiographiques, et j’avais l’impression d’avoir fait le tour. Poser des chansons sur mon histoire, utiliser les mots comme un lasso pour attraper mes ressentis, voilà ce qui me faisait du bien. Et d’un seul coup j’avais le sentiment de ne plus rien avoir à raconter. Et ça a duré quelques années.

Je me suis donc demandé ce qui m’empêchait d’écrire à nouveau des chansons. J’ai pensé arrêter. Mais je me suis quand même intéressé à ce fameux phénomène de la page blanche, et j’ai fait des recherches. Je suis tombé sur cet article de Jason Gray, dans lequel le chanteur raconte son passage à vide de 3 ans. Et voici comment il le décrit: « Une grande partie de mon blocage, je le sais, a été causée par la peur des hommes – la peur qu’une chanson ne rencontre pas l’approbation du jury que j’avais réuni dans ma tête, qu’il s’agisse d’autres artistes, de fans, de radios, de critiques, etc. Tout début de chanson était accueilli par une voix critique imaginée, qui se muait rapidement en hurlements ».

Ça m’a fait prendre conscience que mon problème n’était pas le manque d’idées. En fait ma page ne restait pas blanche, mais tous les mots étaient rayés. Dès qu’une idée me venait, à peine l’avais-je écrite que mes critiques intérieurs s’en moquaient et la détruisaient. J’étais devenu maître en auto-censure. C’est d’autant plus facile de tomber dans ce piège quand on est perfectionniste.

Voilà ce qui se passe quand on devient son propre juge. Jésus a dit: « Ne condamnez pas, pour ne pas être vous-mêmes condamnés. » (Matthieu 7.1). Le jugement conduit à la prison, à l’étouffement de ce cadeau de Dieu qu’est la vie.

Comment sortir de la paralysie? J’ai dû d’abord prendre conscience que c’était l’auto-censure qui était l’origine de mon blocage, cette dévalorisation systématique de toute tentative de création. C’est un processus de deuil puisque j’ai dû aussi abandonnée l’idée que je devais contenter tout le monde, et surtout ces critiques qui n’étaient que le fruit de mon imagination.

Enfin, j’ai suivi les conseils de l’excellent Steven Pressfield dans son livre « La guerre de l’art« . Il invite à adopter une mentalité de professionnel. Qu’est-ce qu’un professionnel? C’est quelqu’un qui se pointe au boulot, jour après jour, parce que c’est son job. Le matin, il ne se demande pas s’il va aller au travail ou pas. Il y va, parce que c’est son travail. De la même manière, je ne devais pas réfléchir si j’écrirais des chansons ou pas. Je devais choisir de considérer que c’était mon travail, sans réfléchir à la qualité.

Alors j’ai décidé d’un lieu et d’un créneau horaire. Mon ami et frère d’arme Hans-Edouard louait une cave aménagée en studio à Annemasse, sans internet et sans réseau téléphonique. Voilà pour le lieu. Comme je travaillais à mi-temps à l’époque, j’avais mes vendredi libre, donc j’ai décidé d’y consacrer tous les vendredi matin.

Je me rappelle de mon premier vendredi matin. Je suis arrivé à 8h, j’ai parcouru le couloir sombre en béton, j’ai ouvert la porte, allumé les néons et j’ai regardé la petite pièce sans fenêtre. Il y avait une batterie, une petite table, et un canapé. J’ai sorti ma guitare, allumé l’ordi, et j’ai commencé à fouiller dans mes chansons inachevées. Je me suis levé, puis je me suis assis sur le canapé pour réfléchir. Ce dont je me souviens ensuite, c’est d’avoir ouvert les yeux et regardé l’heure. Il était midi, j’étais couché sur le canapé, et j’avais dormi toute la matinée.

Mais le vendredi suivant je suis revenu. j’ai travaillé avec acharnement. A la fin de la matinée, tout ce que j’avais réussi à faire était de changer deux mots à une phrase d’une chanson inachevée. Mais j’étais « venu au boulot ». Le vendredi suivant, j’étais à nouveau dans la cave à 8h. Et ainsi de suite. Un an plus tard, j’avais composé assez de chansons pour un nouvel album, qui est devenu « Les ombres chinoises ».

Il n’y a pas de secret: toute tentative de créer quelque chose d’important pour nous provoquera de la résistance et des doutes.

(Photo: Thought Catalog on Unsplash)

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